Il y a quelques mois, un projet de loi a été examiné à Taïwan pour demander au gouvernement d'instaurer une priorité pour les machines capables de démarrer sur clé USB sans aucune intervention de l'utilisateur. Il ne s'agissait pas de forcer les représentants du gouvernement à utiliser Linux sur clé USB. Il ne s'agissait pas non plus de les forcer à utiliser Linux. C'était seulement une modeste requête que le BIOS soit configuré pour qu'il soit possible de démarrer automatiquement sur clé USB, de même que cela a été le cas dans le passé pour le démarrage sur disquette, et ensuite sur CD-ROM. Et par voie de conséquence de rendre plus utile la deuxième vie de ces ordinateurs, quand ils auront été cédés à des villages reculés après avoir fini leur service auprès du gouvernement. Microsoft a refusé catégoriquement, sur la base d'arguments fallacieux, manipulant la réalité. Notre tentative a échoué, mais elle révèle que Microsoft a réellement peur du boot sur clé USB. Il ne faut pas nous préoccuper de ce que MS pense. Il faut nous occuper de nos oignons et avancer bravement là où aucune Fenêtre n'a jamais été. Mais c'est justement ce qui effraie MS :-)

Ouvrons les yeux en dehors de la communauté des informaticiens. Allons parler aux personnes qui se préoccupent de la fracture numérique. Nous pouvons installer des salles informatiques dans des écoles de villages inaccessibles. Nous pouvons distribuer des clés USB remplies de logiciels éducatifs et scientifiques à tous les enfants. - Non, pas des logiciels de bureautique, plutôt ceux présents sur le Cédérom Freeduc-Science, ou équivalent. -  A la bibliothèque de l'école, on peut retaper les clés USB endommagées. Avec tout cela, les enseignants auront bien moins de soucis pour administrer leur salle informatique. Nous pouvons envoyer par courrier postal des clés USB créées par des LUGs, dans des versions récentes, vers les destinations les plus lointaines. Voyez cet article (en chinois traditionnel). Fonctionnaires de l'UNESCO, qu'en dites-vous ?

Ouvrons les yeux en dehors de la communauté des informaticiens. Allons parler aux organisateurs de conférences ou autres événements internationaux, événements sportifs, expositions.... On peut installer des ordinateurs sans disque dur mais avec connexion Internet dans deux ou trois sites comme par exemple les villages sportifs. On peut demander à chaque visiteur de choisir sa langue de prédilection et lui fournir une clé USB Linux bootable dans sa langue. Faire en sorte que les sportifs se sentent comme chez eux lors de cet événement -- du moins en ce qui concerne la lecture du courriel, la messagerie instantanée et l'accès au web. Laissons-les s'émerveiller en constatant que l'ordinateur qui parlait coréen il y a un instant parle maintenant japonais. C'est ce que je vais faire pour ma part lors de la conférence universitaire EASTS, dans quelques semaines.

Ouvrons les yeux en dehors de la communauté des informaticiens. Allons parler aux organismes qui aident les étudiantes à se rendre à l'étranger pour y poursuivre leurs études. Démontrons-leur qu'une clé USB Linux-bootable -- ou même plus d'une, pour la sauvegarde -- peut se révéler providentielle en cas de panne matérielle du portable qu'elles ont apporté avec elles. Cela ne leur prendra pas longtemps pour choisir, entre l'utilisation de ce "système d'exploitation inhabituel" qui parle leur langue maternelle avec leurs camarades restés au pays, et le manque laissé par un système Windows peut-être gentiment familier, mais mort. Elles réaliseront alors que des non-informaticiens ont droit eux aussi à un mode de vie informatique compatible avec les principes du développement durable.

Ouvrons les yeux en dehors de la communauté des informaticiens. Allons parler aux entreprises de tourisme, notamment aux groupements hôteliers. Expliquons-leur qu'ils peuvent offrir à leurs clients un service Internet dans leur propre langue, lors de leur séjour dans son établissement. Les hôtels pourraient louer des ordinateurs sans disque dur et vendre des clés USB. Suggérons au groupement d'organiser l'enregistrement des hôtels sur un wiki ou sur une carte, pour que chaque visiteur étranger puisse localiser à l'avance, le long de son itinéraire, les professionnels qui offrent ce service.

Do you see the cyan area? Vous voyez la partie bleue ? Elle vous donne une idée de la situation. Allons parler aux non-informaticiens, particuliers et/ou entreprises, qui ont intérêt à la mobilité et aux capacités multilingues mais qui n'ont pas osé ou pas su exiger de MS de tels privilèges. N'hésitez pas à partager d'autres idées d'utilisation ici, dans les commentaires de ce billet. Dites-nous aussi si vous voyez d'autres aspects du monde du libre qui soient des avantages immédiatement perceptibles, par rapport au monde privateur des logiciels propriétaires. Puis-je également insister sur le fait qu'il sera plus facile de trouver des idées en pensant "combinaison" -- peut-être avec autre chose que du logiciel, par exemple des contenus sous licence libre (par exemple sous Creative Commons). Le monde privateur s'asphyxie par manque d'un mécanisme simple permettant la coopération en toute légalité. Les activités qui requièrent une combinaison de plusieurs ressources numériques révèlent plus directement la supériorité de notre culture libre et du mixage caractéristique du Web 2.0.

Mais revenons à notre sujet : pourquoi mettre l'accent sur les ordinateurs sans disque dur ? En quoi les ordinateurs habituels, qui savent démarrer sur une clé USB sans intervention de l'utilisateur, ne sont-ils pas aussi utiles ? Je vois au moins trois raisons à cela.

history of change of dominant players Première raison : l'histoire de l'évolution des acteurs dominants. Il s'agit d'abaisser les barrières à l'entrée. L'important n'est pas le prix d'achat, mais le coût de l'ensemble maintenance + administration. Et aussi la barrière psychologique à l'entrée. Une directrice d'établissement hôtelier ne devrait pas avoir à se préoccuper des mises à jour, des pannes ou des virus d'un ordinateur. (Vous verrez, nous aurons des tas de virus Linux dès que le système deviendra dominant -- peut-être pas aussi graves que ceux pour Windows mais assez ennuyeux et dommageables tout de même.) Notre directrice s'intéressera peut-être plus volontiers à un téléviseur cassé. C'est pourquoi nous devons mettre l'accent sur les avantages des ordinateurs sans disque dur -- comparons-les aux téléviseurs plutôt qu'aux ordinateurs traditionnels. En abaissant la barrière a l'entrée, nous ouvrirons un marché beaucoup plus vaste pour Linux et nous contournerons la position dominante de Windows. C'est ce qui s'est passé quand Apple II a ignoré la position dominante du mainframe IBM (sans le remplacer complètement). C'est ce qui s'est passé quand Wintel a ignoré la position dominante des produits Apple (sans les remplacer complètement). Et c'est aussi ce que se passe maintenant : nous ne verrons probablement pas l' « année du bureau Linux » comme un exode massif d'utilisateurs anciens qui plaqueraient leurs Fenêtres en faveur de Linux. Nous avons plus de chances de voir un nombre incroyable de nouveaux "ordinateurs" Linux aller là où aucune Fenêtre n'a pénétré avant eux. Les OLPC, les gphones, openmoko et netbook sont les manifestations de ce phénomène. Les clés USB pourraient être un autre exemple -- il suffit que les gens se rendent compte de l'intérêt des PC sans disque dur.

Deuxième raison : l'innovation peut venir plus vite quand les composants sont pris un par un. Les développements sont faits par des équipes séparées, les résultats pouvant être combinés librement par tout le monde. Il faut que je termine ma lecture de The Future of the Internet and How to Stop it, de Jonathan Zittrain, car ce livre me fournira une meilleure argumentation. Cependant, il est déjà clair que les mécanismes d'innovation encouragés par les Bug Labs peuvent se révéler des accélérateurs de l'application du logiciel libre à des zones de vie qui n'ont pas encore été imaginées. Plus concrètement, en séparant les fournisseurs de matériel informatique et les fournisseurs de clés USB, de nombreuses distribution Linux un peu moins connues peuvent être soudain rendues visible au public. Réfléchissez un instant à la physionomie du marché si HP ou pour Acer se mettaient à pré-installer Artistx spécifiquement pour les artistes. Avec les ordinateurs sans disque dur, ce monde-là est possible et bien d'autres encore.

Enfin, lorsque les ordinateurs sans disque dur seront vendus très largement, la question de savoir quel système d'exploitation pré-installer deviendra futile. Les contraintes que MS fait peser sur les fournisseurs d'ordinateurs - bien que personne n'admette ouvertement leur existence - perdront leur point d'ancrage. Nous ne savons pas comment MS a réussi à faire mettre Windows sur l'OLPC, l'eeepc, l'aspire, mais nous savons que MS devra se battre à armes plus égales dès qu'il ne sera plus possible de parler en secret à un petit nombre de fournisseurs de matériel.

Hilaire, connu pour son logiciel Dr. Geo, m'a montré ce produit encourageant : la G-Key ("G-clé"). La clé en elle-même n'est pas grand chose. Le grand intérêt, c'est que leurs ordinateurs n'ont pas de disque -- même pas de mémoire flash. A l'autre bout de la formule, nous avons le producteur japonais Wizpy, qui intègre une clé USB bootable Turbolinux dans un téléphone portable. (Je ne n'ai aucun lien avec ces deux fabricants). Alors, rejoignez le mouvement: lançons des initiatives similaires dans le monde entier. Les flottes de clés USB, menées par GNU/Linux, partent fièrement conquérir les contrées encore vierges de toute Fenêtre.